TAJAN Art Studio
Exposition du vendredi 12 au mardi 23 octobre
de 10h à 18h à l'Espace Tajan


Oui à la peinture/Yes to painting


6 jeunes peintres français à l'honneur

Mireille Blanc, Nicolas, Chardon, Marion Charlet,
Mathieu Cherkit, Eva Nielsen, Jean-Xavier Renaud




Introduction par Marc Desgrandchamps

« Oui », c’est par cet adverbe que se termine l’Ulysse de Joyce, dernier mot du monologue de Molly Bloom au sein de ce qui vient comme un acquiescement, en accord de ce qui est.
Il est stimulant de retrouver cette volonté d’affirmation dans l’intitulé de cette exposition qui rassemble de jeunes artistes dont l’œuvre se développe déjà avec vigueur.
Cependant la peinture au singulier n’existe pas.
Il  existe des peintures, des façons d’aborder cette matière, colorée ou non, et de l’appliquer sur un support.
Aussi les démarches réunies ici ne prétendent pas à l’unité. Elles sont diverses en leurs pratiques et en leurs intentions. Leur seul point commun serait peut-être une attention au monde, une manière d’être en résonance avec ce qui nous englobe.
Cela les situe loin du terrain autoréflexif où l’on est parfois tenté de cantonner tout travail pictural, terrain stérile où le médium serait condamné à mettre en scène à l’infini son propre commentaire.
Or la détermination de toute démarche ambitieuse est de réagir à l’état des choses, que ce soit de façon distanciée, ou au contraire plus directe et engagée.
C’est le cas de Jean-Xavier Renaud dont les tableaux sont des constats de sentiments, individuels ou collectifs, par lesquels passent les affects de notre temps. Leur forme, souvent éblouissante, ne tempère en rien leur acidité.
Forme tout aussi maîtrisée chez Éva Nielsen, mais qui traduit un regard plus tendu, comme s’il  fallait sans cesse essayer de briser l’écran interposé entre le spectateur et la réalité. Cette impression se renforce du trouble mélange entre image unique et sérielle, produit par l’interpénétration entre peinture et sérigraphie.
Cet écran se retrouve dans les toiles de Marion Charlet, mais là aussi il se brise sous les coups de l’inquiétude provoquée par des représentations qui tendent vers une forme d’imaginaire et de science fiction, évoquant parfois un univers dystopique.
Chez Mathieu Cherkit, le réel se donne plus directement, de manière presque prosaïque dans l’exploration qu’il fait de sa propre maison. Cependant, le diable est dans les détails et il faut être attentif aux multiples signes et objets qui viennent se nicher à la surface de ces intérieurs constructivistes.
Constructivisme qui passerait par la case suprématiste chez Nicolas Chardon, mais un suprématisme ironiste, loin de l’enthousiasme utopique des débuts du XX° siècle, comme si une sorte de désenchantement était devenu nécessaire pour se tenir dans la lucidité requise par un monde toujours prêt à basculer.
Lucidité qui engage peut-être à une attitude modeste, comme celle de Mireille Blanc, concentrée sur des détails ou des fragments, mais dont la modestie se dépasse dans l’acuité et la détermination qui l’amène à dresser une sorte d’inventaire des choses et des êtres.
Si ces artistes ont choisi d’être peintres, c’est en toute conscience de ce que leur permet le médium qu’ils ont adopté. Ils ne le subissent pas et n’y sont pas aliénés. Ils agissent avec les moyens qu’ils se sont donnés. En cela ils sont au plus près de ce que l’art d’aujourd’hui peut produire de plus pertinent.


# # #

 

 

MIREILLE BLANC

Mireille_Blanc

Mireille Blanc force le regard. Ses tableaux ne s’offrent pas d’un coup d’œil, il faut les regarder longtemps, de plus en plus longtemps. Et l’image que l’on croit discerner échappe insensiblement, laissant planer le doute sur des figurations contrariées. Depuis plusieurs années, elle travaille sur le surgissement d’images incertaines, sur leur ambiguïté. En ce sens Eugène Leroy pourrait être l’un de ses maîtres.  
Pour instaurer une distance supplémentaire à ses sujets, Mireille Blanc prend pour modèle des photos, dont quelques-unes décantent d’ailleurs aux murs de son atelier. Ces images lui apparaissent dans des marchés aux puces et dans des albums de famille, ou bien elle les prend elle-même, au détour d’une rencontre avec un objet toujours intrigant, souvent dérangeant. Elle choisit des fragments pour effacer toute narration. Après en avoir dessiné les grandes lignes sur sa toile, Mireille Blanc met son sujet à l’écart, presque jusqu’à l’abstraction, mais jamais tout à fait. Quelques reflets peints, ainsi que des images dans l’image, indiquent parfois la présence de la photographie, filtre entre la réalité et la peinture.
Il y a quelques années Mireille Blanc peignait des figures humaines. C’est aujourd’hui leur absence qui est remarquable. Elle représente des objets dans un cadrage serré, sur un fond indéterminé. Légèrement surannés,  ils évoquent souvent le folklore germanique (Mireille Blanc a grandi en Lorraine), mais sont aussi des objets banals et quotidiens. On reconnaît une statuette de la vierge, un bouchon de bouteille décoré, un gâteau d’anniversaire, un pot de céramique ou un manteau jeté sur un lit. L’artiste peint parfois d’après Manet, et l’on reconnaît l’inspiration des natures mortes de Chardin ou Morandi, et pour les contemporains, celle de Gérard Gasiorowski, Michael Borremans, ou encore Luc Tuymans.
Les sujets eux-mêmes induisent le petit format des toiles, dans l’intimité des objets. Mais plus les cadrages sont resserrés, plus ils semblent ouvrir des horizons, hors du champ de l’image. Ainsi, Mireille Blanc explore les chemins de la mémoire et de la réminiscence. D’ailleurs, elle peint ses tableaux d’une traite, en quelques heures, sans y revenir, peut-être baignée par l’immédiateté et la fugacité du souvenir. Ses œuvres semblent même construire une mémoire collective, presque universelle. Dans l’atelier, ses palettes sont toutes grises, peut-être la couleur du souvenir. On reconnaît, par certains aspects, l’influence de Lucian Freud sur son travail, non seulement dans les couleurs, mais aussi dans la touche épaisse et la matière tourmentée qu’elle dépose depuis peu sur ses toiles. Elle a quitté son ancienne manière faite de jus transparents.
Ses tableaux ne sont pas empreints d’ironie, ni vraiment d’humour, pas non plus de tendresse. Les objets y apparaissent de manière diffuse, tout en retrait, dans une délicate et implacable nécessité.

Anaël Pigeat / Rédactrice en chef d’ArtPress
Texte rédigé à l’occasion du 56ème Salon de Montrouge


Mireille_Blanc

 

 

 

 

 

 

 

 

Mireille Blanc
Edifice, 2012
Huile sur toile
26 x 30 cm

 

# # #

 

 

NICOLAS CHARDON

Nicolas_Chardon

 

Nicolas Chardon / Vincent Honoré
Entretien réalisé à Paris, le 12/05/2011, à l’occasion de l’exposition Tableaux, Le Magasin CNAC, Grenoble, 2011

VH :
L'exposition Tableaux se propose d’explorer d’avantage qu’un medium, un format : le tableau. Comment se jouer de la peinture (et de son histoire) pour s’en s’extraire? Comment décadrer le tableau?
J’aimerai d’abord savoir comment, en regard de ta pratique, tu réagis à ces questions ?
NC :
La question du tableau est fondamentale pour moi. Je le considère comme le format moderne par excellence, mais je veux m’attacher à souligner ce paradoxe qui fait que l’on doit lire son grand récit à rebours, de la fin vers son origine, du Dernier Tableau de Taraboukine (1923) à son Instauration étudiée par Stoichita (1989).
Dans mon cas, le problème n’est pas tant de s’extraire du tableau que de faire avec, à partir de.

VH :
Tu as souvent “activé” tes œuvres, en les intégrant dans des processus parfois performatifs ou critiques vis-à-vis de l’histoire de la peinture abstraite. Te définis-tu comme “peintre”?

NC :
Oui. D’ailleurs la majeure partie de mon travail est en fait constituée de tableaux, de peintures tout à fait traditionnelles, c'est-à-dire une toile tendue sur châssis, puis peinte ! Lorsque je mets en œuvre des protocoles qui échappent à ces canons comme 68 au CAC Brétigny ou bien Tap Dance painting pour la Biennale de Belleville, le tableau est toujours présent par ses limites et la peinture toujours active dans sa pratique. Et c’est bien ce qui m’importe en tant que peintre.
(...)
VH :
Ton travail a été inclus dans l’exposition Seconde main, en 2010 au Musée d’art moderne de la ville de Paris: une exposition dont le propos était d’explorer la notion d’originalité. Comment tu situes ton travail par rapport à l’origine et l’originalité. En particulier dans l’utilisation que tu fait de tissus existants?
NC :
Les tissus qui servent de support à ma peinture présentent tous un motif de grille. C’est là le plus important pour moi, c‘est le point de départ de ma peinture. Ensuite j’entretiens avec cela un rapport très pragmatique, le plus simple étant alors de puiser directement dans les motifs existants chez les marchands de tissus ; madras, vichy, damiers, etc. N’intervient à ce stade aucune question de goût ou de style.
Mais bien entendu lorsque je commence à peindre, je recouvre ce qui est d’une certaine façon un tableau ready-made, tous les éléments du tableau moderne étant alors réunis : un geste -la déformation produite par la tension de la toile sur le châssis- des couleurs, un motif (qui plus est all over) et qui en plus désigne le plan… L’origine de mon travail est donc cette sorte de pudding à la Greenberg que je m‘efforce, par recouvrement, d‘alléger.


Nicolas Chardon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nicolas Chardon
Abstract, 2009
acrylique sur tissu
100 x 81 cm

 

 

# # #

MARION CHARLET

Marion_Charlet

Ciels, escaliers, passerelles, piscines flottantes, jardins perdus, arbres sans troncs, tours, plate-formes de chantier, hommes à la posture animale, cailloux volants…

Ma banque d’images est celle que je construis au fil des années, entre réalité et imaginaire. Rien de glané sur le net. Des photos d’endroits que je connais, où les chemins sont en général balisés, où les souvenirs personnels affluent. Et j’en fais un pari : serai-je capable de faire d’un pré vendéen une peinture intrigante, onirique ? Retournant sur le lieu, je tente de capter ce quelque chose qui pourrait le faire glisser vers un possible ailleurs. 

Au fil du temps, ma mémoire s’est transformée en éponge et des référents culturels se sont ajoutés, enrichissant et complexifiant la tâche. Le paysage devient un terrain d’observation, un prétexte où artifice, nature et architecture viennent se confronter dans un univers globalisé. La composition est souvent penchée mettant le spectateur en situation de déséquilibre.

Comme si je me tenais au bord d’un échiquier, je guette cet instant primordial, où les règles contraignent le joueur à sortir des limites du jeu. La partie peut alors véritablement commencer.

Rien d’allégorique. Juste un possible territoire figuratif, incitant à la rêverie. Une séduction trompeuse inspirée de films d’anticipation : des villes désertées et reconquises par la végétation manifestant la trace d’une humanité disparue, créant un sentiment ambivalent amplifié par des coloris étranges, acides, comme une altération de notre vue ou du monde. Sans réalité propre, sans ville dévastée, sans foule humaine, un nouveau monde où les plantent deviennent carnivores, où les dalles du sol se muent en plafonds, où les architectures sont distendues. Marion Charlet

Marion_Charlet

 

 

 

 

 

 

Marion Charlet
Real Estate,
Acrylique sur toile,114 x 162 cm

 

# # #

MATHIEU CHERKIT

Mathieu_Cherkit

Mathieu Cherkit est résolument un peintre figuratif qui aime planter son chevalet (ou ce qui en fait office) devant le sujet qu’il veut peindre. Il est « sur le motif » et aborde ainsi l’exercice de la peinture par l’un de ses fondamentaux : la perspective centrale dont le procédé a été codifié dès la Renaissance. Le choix de l’emplacement, la désignation du point de vue est l’acte important car il décide de l’agencement du futur tableau. Ce qui va apparaître sur la toile sera la réduction de ce que l’artiste placé à cet endroit, retiendra de la réalité. Libéré du souci de la composition, il peut se concentrer sur la manière spécifique et personnelle selon laquelle il va élaborer le tableau. Il peut à chaque instant vérifier que les volumes, les lumières, les couleurs soient en conformité, mais aussi que les sentiments qu’il éprouve devant le sujet soient suffisamment bien exprimés.
 Or, il connaît fort bien les coins et les recoins de la maison familiale dans laquelle il vit depuis sa jeunesse. Ce pavillon en pierre meulière des années 1880 avec sa véranda, son escalier, ses chambres où le passé a laissé tant de traces, son jardin et ses arbres devenus centenaires aux frondaisons envahissantes et protectrices, constitue l’étonnant univers pictural de l’artiste.
A chaque pas dans cette ruche, Mathieu Cherkit entrevoit une multitude de tableaux possibles, tous nourris du miel de cet inépuisable sentiment de tendresse.

Jean Brolly

 

Mathieu_Cherkit

 

 

 

 

 

 

 

 

Mathieu Cherkit
Caducée vaudou, 2012,
oil on canvas,
195 x 238 cm

 

# # #

 

EVA NIELSEN

Eva_Nielsen

Les paysages d’Eva Nielsen ne doivent être lus en suivant la ligne d’horizon, mais dans le sens opposé : dans l’épaisseur de la peinture, dans sa matière. Savant mélange de techniques diverses, ses toiles recomposent un réel fait de choix précis. Sérigraphie, peintures à l’huile et acrylique viennent composer des situations hors du temps, un semblant de réalité. Ces strates sont autant d’indices de l’intervention de l’artiste dans la création de mondes. L’acte créatif apparaît au grand jour, sans détours : traits de crayon, coulures, retouches, les accidents se révèlent en même temps que la profondeur de la composition. Le regardeur peut ainsi retracer la naissance de l’image, sa délivrance suite à un long travail de masquage de la sérigraphie pour ne pas l’endommager avec l’acrylique ou l’huile. Des heures de camouflage puis de révélation du motif primaire. Empreintes d’un aspect brut, ses toiles paraissent esseulées, tout comme les paysages qu’elle dépeint.
Terrains de narrations ? Oui car tous les possibles sont dans ces scènes désertes. Au travers de l’absence de toute humanité, tous les plans peuvent être échafaudés, les hypothèses tracées et les histoires inventées. Leurs grandes dimensions inviteraient presque à s’y plonger mais leur hostilité nous incite soudain au mouvement inverse… elles ne sont pas faites pour cela.
Le geste de l’artiste vient compléter l’action froidement reproductrice de la sérigraphie : à l’arrière-plan, le paysage est quant à lui vaporeux, en totale dissolution. Les glacis qu’obtient Eva Nielsen révèlent des paysages déserts, figés, portant encore les stigmates d’une catastrophe naturelle ou d’une présence humaine qui se dessine en creux. Le ciel est inquiétant. Estimons-nous heureux de nous trouver de ce coté-ci.
Par ces compositions à la fois verrouillés et perméables, Eva Nielsen innerve un sentiment d’inconfort chez le regardeur. Elle décrit un monde effrayant parfois, inquiétant toujours.
Elle agence une peinture sans cadre, dont l’essence interne pourrait bien contaminer notre monde en débordant. A moins que la vulnérabilité de ses contours n’ait déjà été éprouvée en sens inverse…  
Elodie Stroecken
Critique d'art - Coordination Assistant. Centre Pompidou-Metz.

Eva_Nielsen




 

 

 

 


Eva Nielsen
Les Pôles
Huile acrylique sérigraphie
200 x 150 x 2 cm

 

# # #

JEAN-XAVIER RENAUD

Jean-Xavier_Renaud

Mon travail est une satire humoristique et cruelle de notre société qui à pour ambition de nous révéler à nous même en nous mettant face à nos paradoxes, nos limites culturelles et personnelles. il n'y a pas de « mauvais » sujets et tout peux devenir prétexte à peindre : les rapports sociaux, le cul, la politique, la religion, les mauvaises blagues, les médias, les états d'âmes , les animaux,  etc....

Jean-Xavier Renaud

 

Jean-Xavier_Renaud

 

 

 

 

 

 

Jean-Xavier Renaud
Restauration de tapis, 2012
Huile sur toile
130 x 195 cm



# # #

 

CONTACT :

Romain Monteaux Sarmiento
Relations presse, photographies
+33 (0)1 53 30 30 68