Le plat à Nalot de l’homme bleu
En vente le 3 décembre 2024
La vie sociale et rituelle des habitants du Vanuatu est rythmée par de complexes cérémonies au cours desquels on gravit des échelons de sociétés secrètes pour acquérir connaissance et prestige, en accédant à des rangs plus élevés. Elles se déroulent, dans la maison des hommes. Parmi les objets emblématiques du Vanuatu au coeur de ces cérémonies, on peut citer les mannequins funéraires Rambaramp du sud de Malakula, et les personnages stylisés sculptés dans des fougères arborescentes à Ambryn. Il existe une grande variété de rites e de traditions artistiques, mais les porcs sont toujours au coeur d’échanges codifiés.
Des grands plats en bois sculptés sont utilisés sur les différentes îles du Vanuatu pour préparer et présenter la nourriture des cérémonies. Au centre de ces larges plateaux, on râpait tout d’abord du fruit de l’arbre à pain. Puis, on ajoutait des tarots et des bananes écrasés au pilon, avant de les mélanger avec du lait de coco, et des pierres brûlantes pour la cuisson. C’est ainsi que l’on préparait le nalot, nourriture traditionnelle des cérémonies de grades. Les plats pouvaient être d’une grande diversité de formes et de tailles et possédaient des caractéristiques régionales stylistiques particulières.
Exceptionnel plat à Nalot cérémoniel, île de Malo, Archipel du Vanuatu, XIXe siècle ou antérieur
en bois du (serianthes melaesica ou serianthes myriadenia) à superbe et ancienne patine d’usage.
22 x 148 x 29 cm
80 000-120 000 €
Résultat : 498 560 € (frais inclus)
Ce plat à nalot est d’une grande rareté, se terminant par une figure anthropomorphe à une extrémité, et une structure stylisée avec des anneaux partiellement brisés, à l’autre. Il est sculpté dans un bois très dur, avec une patine profonde, suggérant une longue utilisation rituelle. Les anneaux sont interprétés comme symbolisant les dents recourbées de porcs, essentiels aux échanges lors des cérémonies. On raconte que dans les temps anciens, lors de rituels cannibales, des morceaux de la victime pouvaient être attachés à ces anneaux… La partie centrale du plat est ovale, et surlignée d’un motif dentelé, assez typique du nord de Malekula, Vao et Malo. Le plat dispose d’une base bien stable qui le surélève d’une vingtaine de centimètres.
Un objet rare d’une grande ancienneté
Au sein du corpus de l’art du Vanuatu, on ne compte qu’un très petit nombre de plats à motifs anthropomorphes, parmi lesquels le plat de l’île d’Espiritu Santo de la collection Barbier Mueller vendu par la maison Christie’s en juin 2024. Ce dernier se termine par une figure humaine complète, contrairement à celui de la collection Vérité (Christie’s 2017, lot 184) qui ne comporte qu’une tête. On peut également noter un plat originaire de l’île de Malo exposé actuellement au musée du quai Branly-Jacques Chirac (OC044), comportant deux têtes stylisées.
Une érosion prononcée est visible à une extrémité du plat, indiquant qu’il a probablement été planté un temps dans le sol en position verticale, l’humidité affectant le bois. Une érosion de même nature est également présente sur un des côtés au niveau du plateau et des pieds. Le plat a probablement été abandonné quelques temps, posé à même le sol et incliné sur le côté. L’inspection de la patine du plateau révèle des zones beaucoup plus sombres, brûlées par les pierres déposées pour cuire le nalot.
Le plat n’a aucune provenance de collecte confirmée, mais est indéniablement d’une grande ancienneté, avec une longue utilisation rituelle. Les tests réalisés par le laboratoire CIRAM (1024-0A-1659J) indiquent comme datation la plus probable la période entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle. Le bois est identifié comme appartenant à la famille des Sérianthes, une espèce très commune sur les îles du Pacifique et au Vanuatu.
La proximité extraordinaire de la figure humaine sculptée sur ce plat avec la célèbre statue de l’homme bleu, du pavillon des Sessions du Musée du Louvre, le rend unique. Une comparaison des photos souligne les très grandes similitudes dans le traitement de la sculpture de la tête, de la chevelure, les oreilles, le nez et la géométrie de la construction. Tout comme l’homme bleu, la figure représentée sur le plat porte un cache sexe maintenu par une ceinture d’écorce. C’est un ornement typique du Nord Est de Malekula, région dont les habitants avaient de multiples échanges commerciaux et culturels avec ceux de l’île de Malo.
L’homme bleu
L’homme bleu est un célèbre ambassadeur du Vanuatu au Pavillon des Sessions, érigé au rang de chef d’oeuvre universel. Sculpture anthropomorphe de près de 3 mètres de haut, avec un visage allongé, un regard interrogateur et autoritaire. Elle affiche des attributs des hommes des petites îles de Vao et Malo nichée au Nord Est de Malekula. L’homme bleu occupe une place à part dans le corpus du Vanuatu car à ce jour, seules deux grandes statues en bois semblables sont connues, l’autre ayant été collectée par Félix Speier à Malo en 1913. Son histoire a pu être reconstruire grâce au travail des ethnologues et détaillée dans un article de Christian Coiffier et Kirk Huffman.
Le village de Savakas, en bord de mer, abritait aussi des habitants originaires de l’île de Vao, et était un lieu de passage important pour les échanges et les acquisitions porcines destinées aux cérémonies de l’île de Malekula. A la fin du XIXe siècle, Kana Supé, chef de ce village, aurait choisi de ne pas suivre les traditions établies. Il souhaita célébrer son ascension au plus haut grade de la société par l’érection d’une grande statue en bois comportant des éléments de Malo et de Vao, l’homme bleu. Cette sculpture aurait été réalisée à Vao par un homme de haut rang dont le nom nous serait parvenu : Meltek Tilé. L’homme bleu commandait les différentes cérémonies de l’enclos rituel de chef Kana Supé, au cours desquels des porcs étaient échangés ou sacrifiés, et des grands plats en bois portaient la nourriture, en particulier le Nalot.
L’homme bleu, Pavillon des Sessions, Musée du Louvre
Une première photographie prise par le révérend Paterson vers 1915 montre l’homme bleu à l’entrée de la maison des hommes du village de Savakas, sur la côte Sud Est de Malo. Après le décès du chef Kana Supé, l’homme bleu fut transféré à son fils, puis à son demi-frère. Quand ce dernier fut converti à la religion presbytérienne il abandonna sa maison des hommes. Un jeune planteur, Eugène Gardel s’installa à Malo en 1922, et acquis le terrain contenant le village abandonné de Savakas et la maison des hommes. Il se fit photographier avec l’homme bleu en 1929. La statue fut alors acquise par un avocat de Port-Vila qui en fit don à l’expédition de la Korrigane pour le musée de Trocadéro en 1935.
Ainsi, alors que nous pensions que l’homme bleu était un ambassadeur unique du Vanuatu, tant stylistiquement il occupe une place à part dans le corpus artistique de ces îles, la très grande surprise est de découvrir ici, un plat à nalot avec une figure anthropomorphe très proche de l’homme bleu, datant probablement du début du XIXe siècle ou d’une époque antérieure. Nous pensions qu’il pourrait s’agir du même sculpteur ou que le sculpteur connaissait l’homme bleu. Il reste des pistes en explorant les archives du révérend Paterson, qui prit des photos de la maison des hommes de Savakas en 1915.
Jean-Philippe Beaulieu
Directeur de recherche au CNRS
L’homme bleu dans la Maison des Hommes, village de Savakas
Découvrir la vente « Mobilier & Objets d’art »
Mardi 3 décembre 2024 à 17h30
Tajan – 37 rue des Mathurins, 75008 Paris
CONTACTS
Elsa Kozlowski – Directeur du département Mobilier & Objets d’art
+33 1 53 30 30 39/16 – [email protected]
Ariane de Miramon – Directeur Communication & Marketing
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