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Vente de Vins et Spiritueux, les choix d’Emmanuel Rubin

Éloge du blend

Chroniqueur gastronomique du Figaro et du Figaroscope depuis 30 ans, cofondateur du Fooding, auteur de nombreux ouvrages dédiés, consultant, animateur de la nouvelle émission La Table du dimanche sur Europe 1, Emmanuel Rubin a également dirigé les rédactions d’un groupe de presse parisien et orchestré l’émission hebdomadaire Goûts de Luxe sur BFM durant près d’une quinzaine d’années. A l’occasion de la Vente Vins et Spiritueux des 20 et 21 octobre prochains, Tajan a sollicité sa plume pour évoquer l’un de ses domaines de prédilection : le whisky.

Par Emmanuel Rubin

©Pierre Lucet-Penato

Aux rives des Islands, au panache écossais, se souvenir de Robert Louis Stevenson et s’avouer qu’une vente publique est toujours une petite île au trésor. Du moins, une île aux surprises. De là, saluer l’inattendu de cette enchère où, entre vins et spiritueux, quelques judicieux flacons proposés assument autant qu’ils révèlent, révèlent autant qu’ils rappellent cette so scottish saga du blend.

Blend ! Une courte syllabe qui mérite mieux que la demi-mesure à laquelle les pédants de la culture whisky voudraient la réduire. Certes, ne pas oublier ces purs et single malts, ces Laphroaig, ces Macallan, ces Talisker qui font l’aristocratie du genre mais rappeler, ici, les valeurs du blend autant que celle de ces maisons qui les accompagnent et les portent haut. Le blend, c’est l’évangélisateur, l’initiateur, le premier compagnon qui, dans la réserve des seconds rôles, métamorphose patiemment le novice en averti.

J’ai le souvenir de ce grand barman d’un immense palace parisien (l’inverse aussi) qui aimait à comparer son bar à un navire où les grands malts ouvriraient de grands larges et les  blends s’imposeraient comme phares et balises. Vrai que le blend est ce compagnon indispensable à tout amateur. Lequel se doit de choisir une solide marque, une forte maison – Black and White, Chivas Regal, Johnny Walker Black Label – et lui rester fidèle comme l’Ecossais à son clan, car aux complexités, le blend préfère la complicité. Il accepte parfois un glaçon, autorise même un peu d’eau gazeuse, se plaît à soutenir un cocktail et toujours cultive la disponibilité. Il est la souplesse autant que la pudeur du whisky. Peut-être parce qu’il s’est fait une vertu de l’assemblage ; cette manière de construire un style en conjurant les différences. On se plaît à raconter qu’au début du XIVe siècle, lors de la Première Guerre d’indépendance, les Ecossais se battirent en poète. Je crois qu’ils distillent aussi en poète. Ainsi, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, parmi les lots de cette vente Tajan, un Buchanan’s Reserve 12 ans qui m’offrit, l’instant d’une dégustation, un vif moment d’émotion. Mon ami, le grand barman de l’immense palace parisien, le goûtait particulièrement en affirmant qu’“un whisky qui en contient quarante ne peut qu’avoir du talent”. Un soir, il m’en servit gracieusement un verre, exigeant que je le porte au nez avant de m’adresser un tonitruant : “Quel temps fait-il jeune homme ?” Devant mon mutisme, il me répondit : “Il fait Ecosse !”