Dans notre prochaine vente de Tableaux & Dessins Anciens du 22 juin à l’Espace Tajan, nous aurons le plaisir de vous présenter plus d’une centaine de tableaux et dessins de grandes qualités, et parmi ceux-ci une exceptionnelle Vierge aux rochers.
ÉCOLE FRANÇAISE VERS 1630, SUIVEUR DE LÉONARD DE VINCI
La Vierge aux rochers
Toile d’origine
French school circa 1630, follower of Leonardo Da Vinci, The Virgin of the rocks, original canvas
172 x 117 CM – 67,7 x 46,1 in
Estimation : 300 000/500 000 €
Provenance<R>Château de la Pierreuse, à Marigny-les-Usages (Loiret vers 1840). Puis, resté dans la famille des anciens propriétaires du château de la Pierreuse par descendance jusqu’à ce jour.<R>Notre reprise de la Vierge aux rochers est un témoignage précoce de l’engouement de la France pour Léonard de Vinci, puisque l’original, aujourd’hui au Louvre (ill. 1), y est arrivé très tôt, autour de 1508, soit plusieurs années avant la venue du maître à Amboise en 1516.
Notre reprise de la Vierge aux rochers est un témoignage précoce de l’engouement de la France pour Léonard de Vinci, puisque l’original, aujourd’hui au Louvre (ill. 1), y est arrivé très tôt, autour de 1500, soit plusieurs années avant la venue du maître à Amboise en 1516.
La Vierge aux Rochers (ill. 1) a été commandée par une confrérie laïque pour la chapelle de l’Immaculée Conception de l’église San Francesco Grande, Saint-François Majeur à Milan, détruite en 1806. Il était prévu qu’elle soit placée au centre d’un retable complexe construit par le sculpteur sur bois Giacomo del Maino. Un contrat liait Léonard et ses élèves Ambrogio et Evangelista de Prédis, à remettre leur œuvre pour la fête de l’Immaculée Conception au mois de mai 1484. Les artistes estimant qu’ils avaient déboursé trop d’argent pour la fabrication du retable, que ce qu’ils avaient touché était trop faible, ils s’en plaignirent à Ludovic le More. Ils déclarèrent avoir reçu, par ailleurs, une offre bien plus élevée pour la Vierge aux rochers.
Il s’en suivra vingt-cinq ans de procès entre les trois compagnons et la confrérie. Léonard a probablement cédé son tableau, dont on ne sait pas exactement s’il a été offert à Louis XII ou à François I, et a réalisé, avec la participation des frères Predis, une réplique avec quelques variantes aujourd’hui conservée à la National Gallery de Londres (ill.2). Parmi les principales différences entre ces deux tableaux, la plus évidente est le geste de l’ange qui désigne le petit saint Jean au Louvre, détail absent à Londres. Sur la version anglaise les figures sont auréolées et saint Jean tient une croix. Le sfumato est légèrement plus ombré, plus bronzé, et le choix des espèces végétale repensé.
Cette sainte conversation nous fascine par le rapport psychologique entre les quatre figures. Leur présence est étrange, à la fois reclus dans une grotte, et insérée dans un paysage de montagnes. Leur interaction avec la nature qui les environne, tient de la métaphysique. La composition est très simple au premier coup d’œil, une pyramide, symbole d’élévation, mais qui se décompose en une triangulation très savante, redoublée par les stalagmites au second plan.
La grande spiritualité qui se dégage de l’image est contrebalancée par le naturalisme du modelé. Le réalisme topographique alpin et la description scientifique de chaque espèce végétale révèlent l’harmonie de la Nature et de la Création. Cet équilibre de forces contradictoires, entre le microcosme et le macrocosme (c’est-à-dire un modèle réduit qui imite toute la complexité de l’univers) rendait ce tableau incroyablement novateur à l’époque et reste encore fascinant de nos jours. Pour placer son groupe dans l’espace, Léonard ne s’appuie pas sur un bâtiment ou une perspective architecturale, comme l’avaient inventé les peintres de la Renaissance florentine, mais sur une structure subtile, en mouvement, où l’air tourne autour des personnages et où le paysage reflète leur état d’âme.
L’œuvre peint de Léonard de Vinci est très réduit ; seulement quinze compositions religieuses et cinq portraits, mais révolutionnaires et longuement muris et réfléchi, qui ont tous marqué l’histoire de la peinture. Son atelier et ses élèves à Milan réalisaient des répliques de ses tableaux à divers stades de leur exécution1. On connaît des dizaines de reprises de la Sainte Anne, du Rédempteur ou de la Vierge aux rochers 2.
On ignore à quelle date exacte cette dernière est arrivée en France, soit elle était cédée à Louis XII, soit elle était confisquée par Charles II d’Amboise, soit elle a été offerte par l’ambassadeur à François I.
Qui est l’auteur de notre version ?
Notre toile est à situer au début du XVIIe siècle, donc hors de la sphère des élèves milanais de Léonard. Il y a tout lieu de penser que seuls les artistes de la cour avaient accès aux tableaux de la collection royale au château de Fontainebleau. A partir des années 1540, celle-ci est exposée dans l’appartement des bains, une suite de salles construite sur le modèle de thermes antiques, au rez-de-chaussée de la galerie François Ier. Il s’agit de trois salles des bains et de quatre petits salons se terminant sur un vestibule, qui furent détruits en 1697 pour y créer de nouveaux logements3.
Fréquenté par les derniers Valois, mais laissé en l’état sans grand travaux, Fontainebleau est l’une des demeures préférées d’Henri IV, qui tient à se poser en successeur de François Ier. Dès 1593/1594, il y entreprend de grands travaux qui doublent la surface du palais. On connaît mal la disposition de la collection royale à cette époque, les sources étant lacunaires et contradictoires. Il faut attendre l’inventaire du père Dan en 1642 pour avoir des données précises.
Entre avril 1594 et mai 1600, date de la Conférence de Fontainebleau, les aménagements sont terminés, les peintures de chevalet sont transférées des étuves chaudes et humides dans le cabinet des peintures, au second étage du pavillon central de l’aile des Poêles, reconstruite sous Henri II. Dans les bains, les originaux sont remplacés par des copies de mêmes dimensions, insérées dans les encadrements en stuc existants. En toute logique, Henri IV confie cette tâche aux artistes actifs sur le chantier du château. Ambroise Dubois reproduit la Madeleine du Titien, son fils Jean Dubois, la Belle Jardinière de Raphaël, Jean Voltigeant la Sainte Marguerite terrassant le dragon de Raphaël et peut-être aussi la Visitation de Sebastiano del Piombo, et Jean Michelin, la Vierge aux rochers4. Cette copie a été transférée sous Louis-Philippe à la chapelle du Trianon à Versailles5 (pour des raisons de dates, ce Jean Michelin ne semble pas être le peintre né à Langres en 1623, suiveur des Le Nain).
Nous proposons de rendre notre version à ce milieu bellifontain du premier tiers du XVIIe siècle. Les ombres profondes et douces à la fois, le bleu et le vert des drapés évoquent la palette des créations originales d’Ambroise Dubois. La copie de la Joconde, conservée au Clos-Lucé depuis une dizaine d’années, par exemple, lui est attribuée (ill. 3, la sous-couche de couleur terre de ce tableau est assez proche de celle du notre, ill. 3). Une copie directe et tardive de notre toile -et pas du tableau du Louvre- est connue dans l’église de Boigny-sur-Brionne 6 (ill.4), c’est-à-dire à quelques dizaines de kilomètres au sud du château. C’est un autre élément en faveur d’une origine bellifontaine de notre œuvre.
Le peintre se met ici au service d’une transcription la plus fidèle possible du maître italien : le modelé, le fameux « sfumato », y est retranscrit de façon virtuose, notamment dans les visages, les corps des enfants, soient les parties les plus difficiles à reproduire. Le fait qu’il ait simplifié la description des plantes, par exemple les feuilles sur la voûte de la grotte, montre un peintre d’histoire plus attaché et habitué aux figures, à la narration qu’à une profusion de détails.
Il a cependant gardé celles qui sont essentielles à la symbolique et à l’ambiance poétique du tableau : l’aconit, le millepertuis … Les feuilles du palmier rhapis à gauche, sont moins détaillées et un peu plus grandes qu’au Louvre.
Notre version permet aussi de retrouver la gamme colorée lumineuse qu’aurait le tableau du Louvre, assombri par les anciens vernis, si on le nettoyait.
Pour toutes ces raisons, elle est un exemple exceptionnel du « léonardisme » en France, du succès et de la diffusion d’un des chefs-d’œuvre la peinture occidentale.
VENTE TABLEAUX ET DESSINS ANCIENS
22 JUIN 2021 – CATALOGUE EN LIGNE