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Dona Nelson : Days, textures and patterns

The Gallery à le plaisir d’acceuillir, pour la première fois à Paris, une exposition dédiée à l’artiste américaine Dona Nelson. Brooks Adams, chroniqueur au Art in America, revient sur le parcours et l’oeuvre de l’artiste contemporaine.

” Tout au long des cinq dernières décennies, Dona Nelson s’est certainement révélée être l’une des peintres vivantes les plus acharnées dans ses recherches, rigoureusement idiosyncratique et techniquement inventive. Ses peintures récentes, d’une inspiration hyper-matérialiste, souvent translucides, recto verso et suspendues dans l’espace, sont devenues des références, notamment lors de la Biennale du Whitney de 2014, pour les peintres plus jeunes cherchant à étendre les possibilités expérimentales de l’école de New-York. Sa technique combine le pinceau et de longs morceaux de ficelle nouée et peinte traversant la toile. Elle synthétise les notions désuètes « d’ouvrages féminins » (courtepointes, broderies) avec les grandes ambitions d’un Jackson Pollock. Nelson emploie librement les techniques de dripping et de taches, ainsi que l’automatisme psychique. Elle semble prête à tout pour maintenir vivante la pratique de la peinture abstraite.

La vie de l’artiste est clairement visible dans ses oeuvres des années 80 : elle a démarré en tant que peintre abstrait dans les années 70, puis emprunta un tournant à 360 degrés vers la figuration. L’hyper-matérialisme et l’autobiographie se rejoignent à nouveau dans ses abstractions récentes qui sont, en quelque sorte, également figuratives. Ces objets suspendus et autonomes ont une présence corporelle. Le travail des années 80 est aussi étonnamment prémonitoire ; Imaginez Familiar Trees (1985) de Nelson comme un nouveau précédent de Two Trees (2017) de Peter Doig.

Les peintures de la scène américaine des années 80 sont, sous un regard attentif, multivalentes et pleines d’évocations visuelles. Les éléments internes ne concordent pas tout à fait. Dans Cold Busy Street (1984), une silhouette en pardessus est nettement empathique, de même que les énormes mains violettes se réchauffant au-dessus d’un feu jaune vif dans un tonneau. Un manteau rouge au rendu prismatique se termine en pantalon violet sans pieds. Au-dessus, pendent un trio de chaussures sans corps : deux violettes à tiges hautes et un mocassin orange. Ces éléments tronqués insolites suggèrent un réalisme urbain brut et une vision du monde en juxtaposition de fragments urbains.

L’hyper-matérialité gagne du terrain dans les peintures des années 90. La réalisation de surfaces faites d’étoffes et de gel semblait chimérique à l’époque, surtout pour des oeuvres abstraites. Que recherchait Nelson ? Decorative Octopus (1991) nous offre un rare moment d’intelligibilité. Le cloisonnisme des aplats de couleurs vives, rouge, jaune, violet et vert, apparait bien marqué, mais il est en fait réalisé par l’apposition d’une myriade de bandes de coton teintées sur une toile de support. Nelson a peint toute une série  de peintures de pieuvres au cours de ces années, dont certaines sont presque abstraites. Dans cet exemple, la nature obsessionnelle de la technique, ainsi que les images résultantes aux couleurs saturées et motifs labyrinthiques, nous font penser à l’Outsider Art ou à l’Art Brut.

Nous pouvons voir aujourd’hui que le travail de Nelson présente des affinités indéniables avec l’expressionnisme abstrait de deuxième génération, récemment évoqué dans un ouvrage magistral de Mary Gabriel, Ninth Street Women: Lee Krasner, Elaine DeKooning, Grace Hartigan, Joan Mitchell and Helen Frankenthaler: Five Painters and the Movement That Changed Modern Art (2018). Ce serait Hartigan qui est soudainement devenu figuratif après un début abstrait ; Krasner qui a découpé ses peintures ratées et les a ensuite réutilisées ; Frankenthaler, pionnière des techniques de taches colorées ; et Mitchell avec ses joyeuses odes à la nature. Nelson a intériorisé toutes les luttes et triomphes de ces artistes.

Ses peintures double face ont également des résonnances internationales. Pierre Soulages expérimente cette idée depuis 1966, lorsqu’il accroche pour la première fois ses peintures sur des câbles métalliques. Plus tard il suspendra sa série Outrenoir sous une forme identique, dos à dos. Vers 1974, l’artiste iranienne Behjat Sadr (1924-2009), qui a travaillé à Paris après la révolution de 1979, a peint une oeuvre abstraite double face sur panneau en aluminium (récemment exposée à Balice Hertling à Paris). Cependant, les oeuvres double face de Nelson sont particulièrement novatrices dans la manière dont les deux faces sont raccordées à la fois sur le plan conceptuel et artistique.

Bien sûr la peinture double face n’est pas une idée nouvelle : les panneaux de la Renaissance sont souvent peints recto verso. Ces polyptyques sont des oeuvres à panneaux multiples dont les côtés peuvent être ouverts ou fermés et qui ressortent souvent en saillie dans l’espace, tout comme le travail de Nelson lors de la Biennale du Whitney en 2014.

Pour ma part, je fus soulagé lorsqu’en 2016 des figures monumentales et colossales sont réapparues. Autumn Andrew (2016) représente des personnages grandeur nature ou colossaux – certains de ces portraits peints à partir d’un modèle – avec une présence empirique intemporelle. Le spectateur est impliqué de manière nouvelle et active. En tournant autour des oeuvres double face, en se glissant entre deux totems sur leur socle en bois brut, nous mesurons nos propres mouvements à ceux des personnages représentés. Ici j’ai ressenti le retour de l’esprit novateur des années 80 de Nelson.”

Exposition Dona Nelson : Days, textures and patterns

11 – 20 Octobre 2019, The Gallery