Louis BARTHOU. 1862-1934. 2 Manuscrits autographes. Août 1934. 5 ff. ½ in-8, encre bleue, qqs corrections et 4 ff. in-8, encre bleu, crayon rouge et bleu écrit au verso de l’annonce de la Conférence sur la défense des Juifs allemands au théâtres des Champs Elysées .


    Notes:
  • Singulier mémoire, inédit, rédigé sous forme de notes personnelles, dans lequel Barthou rend compte d’une entrevue avec Ribbentrop dans le courant du mois d’août 1934. Chargé des questions de politiques étrangères du parti nazi, Ribbentrop venait d’être nommé par Hitler, commissaire spécial pour le désarmement. Le nouveau chancelier de l’Allemagne avait chargé Ribbentrop de montrer ses bonnes intentions en matière de désarmement et d’entretenir de meilleures relations avec la France, voir de négocier un pacte de non-agression. A cette époque, des rumeurs circulaient sur les intentions de Barthou de demander des sanctions contre l’Allemagne pour violation de la partie V du Traité de Versailles. Sur la demande et sur la présentation de (…) l’ancien président du Conseil municip. de Paris, j’ai reçu hier M. de Ribbentrop dans mon cabinet (…) qu’il a préféré au salon du ministère (…). Je me suis dès les premiers mots étonné avec bonne humeur qu’il vint au domicile personnel d’un prétendu adversaire de l’Allemagne, attaqué si vivement par la presse de son pays (…). Barthou entre alors dans le vif du sujet en critiquant Mein Kampf, ce à quoi répond Ribbentrop ; il l’a expliqué par la date et par les circonstances dans lesquelles il a été écrit, mais en ajoutant qu’il serait injuste d’y trouver la pensée actuelle du chancelier converti à des vues plus larges dont il a donné des preuves. J’ai répondu que les éditions récentes parues en Allemagne du livre d’Hitler risquaient alors de créer un malentendu fâcheux (…). M. de Ribbentrop m’a dit que je n’étais pas le 1er à lui avoir fait cette observation et il rendrait compte au chancelier (…). Il tenta de me prouver qu’il n’y avait pas en Allemagne de haine contre la France ; il m’a parlé d’une enquête qu’il avait faite sur (…) la jeunesse des S.A., occupée à d’autre soucis (!) (…). Suit une discussion sur les questions territoriales, le couloir de Dantzig, l’Alsace, la Sarre, etc. Devant le mouvement de Barthou, Ribbentrop s’avisa alors d’exalter la nécessité et les vertus de l’esprit européen (…). Barthou continue alors de noter tout au long de sa discussion l’ironie et le jeu de l’envoyé allemand qui défendait la politique pacifique voulue par Hitler ! Barthou note d’ailleurs en conclusion qu’il s’est fait un devoir de transcrire cette conversation, non pour apprendre quelque chose de nouveau, mais pour mettre en garde contre des interprétations inexactes qui pourraient en être donnés. Joint quatre feuillets : notes d’une conférence contre Goebbels dans lesquels Barthou, à la suite de cette entrevue, livre ses réflexions extrêmement critiques contre l’antisémitisme ; il s’agit d’un véritable réquisitoire contre la montée du nazisme en Allemagne. Quand l’Assemblée nat. en 1791 décrète l’émancipation des Juifs, elle s’occupa extrêmement peu de la race. Elle estima que les hommes doivent être jugés non par le sang qui coule dans leurs veines, mars par leur valeur morale et intellectuelle. C’est la gloire de la France de prendre ces questions par le côté humain. (…) La persécution a changé de caractère. Elle ne parque plus les hommes dans des lazarets. Elle les frappe, elle les insulte, elle les exile (…). Au nom de quel principe ? (…) au nom de la race, le Volkstrum. (…) La considération ethnographique n’a été pour rien dans la constitution des Etats modernes. Il n’y a pas de race pure ; faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère (…). Ces vérités et ces principes ont été combattus à la Société des Nation. Qui a pris l’initiative des problèmes des minorités ? Au nom du Volkstrum, (…) il accepte les principes de 1922 sur la protection accordée aux minorités. Mais il refuse de s’associer à l’espoir que les Etats qui ne sont liés par aucune obligation légale (…) observeront le même degré de justice et de tolérance. Les Juifs ne sont pas une minorité… ils les maintiennent dans la nation pour les en chasser (…). Allemagne seule : c’est un jugement. Le chancelier a son « Kampf » ; sa bataille n’est pas la nôtre (…). Barthou dénonce encore la politique culturelle de Goebels faisant une démarcation entre le bon et le mauvais art, et marque en conclusion ce jugement prémonitoire ; A l’heure où la terre entière est ébranlée, l’abdication des principes sur lesquels la civilisation repose consommerait sa perte (…). Il y a une solidarité dans la confiance. Pour sauver le monde, il faut d’abord respecter les droits naturels où la conscience universelle trouve son plus noble symbole et qui sont la garantie imprescriptible et inaliénable de la fraternité humaine.

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